Par Jean-Roch Houllier et Olivia Le Jeune
21 février 2024
Dans un monde de plus en plus complexe, caractérisé par une incertitude croissante et la multiplication des transformations (par exemple technologiques, environnementales, sociétales), les chefs de projets doivent développer de nouvelles compétences. Parmi elles, quatre compétences essentielles à nos yeux, que nous nous proposons de décrire et de commenter sur la base de notre expérience dans le contexte de la gestion de projet.
Compétence 1 : la résilience ou l'art de faire face à l'adversité
Dans sa définition originelle, la résilience est la capacité d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatisantes. Appliquée à un projet, c’est la capacité du chef de projet à faire face à l’adversité du projet, à ses incertitudes, à ses risques et à ses problèmes quotidiens.
Dans ces contextes de plus en plus mouvementés, en situation de crise par exemple, le chef de projet est parfois seul à la barre de son navire et sent le poids des responsabilités peser sur ses épaules, comme nous l’avons vécu dans nos propres expériences de gestion de projet. La résilience lui permet de rebondir, d’être optimiste, de trouver des solutions (“il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions”), de donner confiance aux équipes, de diminuer le stress, d’apporter une nouvelle vision, de faciliter la prise de décision et, plus généralement, d’éviter de mettre le projet en danger.
Le chef de projet résilient développe ainsi une posture et un état d’esprit qui lui permettent de transformer une situation négative en situation positive, voire d’offrir de nouvelles opportunités et d’accepter de renoncer lorsque c’est nécessaire. La résilience s’acquiert avec l’expérience, la maturité, la confiance en soi, le relativisme et la capacité à prendre du recul.
Compétence 2 : l'intelligence émotionnelle, une nécessité dans nos relations avec nous-mêmes et avec les autres
L’intelligence émotionnelle est la capacité d’un individu à percevoir, comprendre, contrôler et exprimer ses propres émotions, et à distinguer, décoder et reconnaître les émotions chez les autres. Elle permet aux chefs de projet de bien se connaître, d’appréhender des contextes complexes, d’intégrer les relations sociales, de comprendre les autres émotions et d’être à l’écoute. Cette compétence complète parfaitement la résilience.
Dans une grande entreprise, dans le cadre d’un programme de transformation complexe ayant un fort impact sur la réorganisation du travail des salariés, de nombreux postes ont été supprimés. Les managers de proximité n’avaient plus les leviers pour motiver leurs équipes et maintenir la productivité. La chef de projet et son équipe sont allées sur le terrain à la rencontre des équipes, en organisant des moments informels (déjeuner, échanges autour d’un café, etc.), ainsi que des échanges interactifs autour des leviers de motivation. En écoutant, en comprenant les difficultés rencontrées sur le terrain et en se rendant disponible, le chef de projet a pu recréer un esprit de cohésion et de communauté entre les différentes équipes et redonner confiance aux managers locaux.
Les chefs de projet ayant développé une intelligence émotionnelle seront mieux préparés à comprendre leur environnement, à interagir de manière nuancée avec les parties prenantes du projet, à gérer les situations de stress et à s’adapter face à l’incertitude.
Compétence 3 : l'adaptabilité ou la capacité à faire face à des changements constants
Le projet est-il un ” long fleuve tranquille ” ? Certainement pas, même si, jeunes chefs de projet, nous aurions aimé qu’il en soit ainsi, convaincus que nous étions de la pertinence de nos plannings initiaux, de nos estimations et de nos diverses projections ! En ces temps d’incertitude croissante, l’adaptabilité, c’est-à-dire la capacité à s’adapter à de nouveaux environnements et à de nouvelles situations, est plus que jamais une nécessité pour tout chef de projet désireux de réussir.
Au travers de nos expériences respectives, nous avons appris à quel point il est important pour le chef de projet de pouvoir constamment “naviguer” et “s’adapter” aux évolutions du projet. Nous avons tiré les enseignements suivants : un état d’esprit et une posture appropriés (quelle que soit la méthodologie appliquée (Agile, prédictive, etc.)) permettent avant tout d’accepter, d’accueillir et même de transformer un changement en opportunité pour le projet ; mais aussi de renoncer lorsque c’est nécessaire. Par exemple, une demande de dernière minute d’un client, initialement déstabilisante et impactante pour le projet, peut finalement, bien requalifiée en demande d’évolution, déboucher sur un avenant au contrat. Les comportements adéquats et, en particulier, l’agilité, l’assertivité et les capacités de négociation sont également des alliés précieux pour le chef de projet.
Enfin, la maîtrise et le partage d’une vision permettent au chef de projet d’adopter une posture “méta”, telle une “boussole”, pour maintenir le cap et la cohérence d’ensemble du projet, malgré les multiples changements et évolutions.
Compétence 4 : l'esprit critique, arme fatale du chef de projet
De retour sur le devant de la scène, l’esprit critique, compétence qui remonte à Aristote, désigne la volonté d’une personne d’examiner attentivement des données avant d’en établir la validité. Elle comporte pour nous trois dimensions principales : l’art du discernement, la pensée analytique et l’humilité. Dans le monde de la gestion de projet, son importance est croissante, voire critique, notamment avec l’avènement de l’ère numérique et le développement accéléré de l’intelligence artificielle.
En maîtrisant l’art du discernement, le chef de projet développe une posture “méta” indispensable pour prendre du recul et dédramatiser les situations rencontrées. Cela va notamment de pair avec le développement de la pensée systémique, qui confère au chef de projet une double appréciation de la réalité, capable d’alterner entre le “global” (vision et maintien du cap) et le “local” (résolution des problèmes).
La seconde dimension, associée à la pensée analytique, donne au chef de projet la capacité d’analyser les problèmes qui lui sont soumis et les prises de décision associées, par exemple en évitant de confondre causalité et simple corrélation.
Enfin, l’humilité joue un rôle essentiel dans la capacité du chef de projet à accepter qu’il ne sait pas, qu’il peut se tromper et, surtout, qu’il est prêt à écouter les suggestions des membres de l’équipe. Il s’agit d’une dimension essentielle, vitale pour tout chef de projet qui veut éviter les dérives.
Ces quatre compétences sont essentielles pour la crédibilité du chef de projet auprès de ses équipes, et plus encore pour son propre bien-être physique et mental !
Diplômé d’HEC Paris, de SUPAERO (ISAE) et de SKEMA BS, Jean-Roch Houllier est actuellement responsable des opérations, de la formation et du numérique à l’Université SAFRAN, l’université du Groupe SAFRAN. Jean-Roch est également chercheur associé au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) à Paris, dans le cadre de ses recherches sur la préhistoire, et professeur invité et directeur de thèse professionnelle.
Olivia est titulaire d’une maîtrise de chimie de l’Université Paris Orsay. Elle est actuellement experte en gestion du changement et directrice de projet au sein du Groupe Société Générale France. Olivia est également professeur à Skema Business School Paris (Master Project & Program), et Coach (Développement personnel). Elle a été présidente du PMI France.